Ange Tomaselli, à soixante dix
ans, reste animé par une flamme intérieure, sorte de démon qui le
démange. Qui le pousse à peindre. A toujours travailler. Lui,
l'émigré, le peintre de l'ombre, oeuvrant solitaire dans un
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atelier ni
éclairé par l'électricité ni chauffé, restitue sur ses toiles la
lumière qu'il parvient à capter. La maîtrisant pour mieux la renvoyer.
Cette source naturelle, il l'accroche aujourd'hui par un savant jeu de
matières, un étrange et apparemment imparfait granulé. On a envie de
toucher, mais au contraire, il faut reculer pour admirer. Car, avec la
distance (deux ou trois pas en arrière), ce relief fait d'huile et de
sable, miroite au moindre rayon de soleil. L'étincelle se produit. Au
premier abord, en pénétrant dans le long boyau menant au puits de
lumière.
de la galerie
Turenne où il vient d'accrocher ses toiles, on s'était dit qu'il devait
être bien triste cet Ange prisonnier des tons rouges, des ocres jaunes ou
du noir, pour composer tant de natures mortes, mi-figuratives,
mi-abstraites.
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Enchevêtrements de coupes, de nappes, de fruits plus ou
moins colorés jetés en tranches sur la toile sans reposer sur le moindre
support, la moindre table, ces objets ne sont en fait qu'un prétexte pour
composer des formes. Deux femmes, de dos, servent le même objectif,
figées dans leurs robes en dégradé de rouge. L'artiste craint-il de les
regarder dans les yeux? Un gosse dessiné de profil tient un bonbon dans
ses mains, la tête basse comme intimidé. Attitude étrange qui dérange.
Comme ce Tomaselli venu des chaudes Dolomites, grandi dans le crachin de
Bretagne et une pauvreté dont il s'est arraché pour briller à Paris
sans jamais se renier. Seulement guidé par sa passion.
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L'exposition présentée par Peintres en
Champagne à la maison Clémangis, compte un invité de marque en la
personne d'Ange Tomaselli. C'est certainement l'un des plus grands
rendez-vous d'art pictural que Châlons a connu jusqu'ici même si les
amoureux de la peinture ont déjà vécu quelques grands moments.
L'œuvre d'Ange Tomaselli est aussi grande que l'homme est humble.
Sensible, il l'est vraiment. A tel point que lors du vernissage, en
recevant la médaille de la Ville des mains du Maire, Jean Reyssier, il se
mettait à pleurer, tant il était ému. Déjà, lors du discours, sa voix
était chevrotante. L'artiste est vrai, sincère.
La peinture accrochée aux cimaises montre un talent extraordinaire.
Italien d'origine, il s'est installé en Bretagne et a suivi les Beaux
Arts de Rennes de 1945 à 1946. Puis il est monté à Paris.
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"Les premiers peintres que j'ai aimés
étaient classiques. J'admirais leur technique. J'ai été très long à
comprendre la peinture et je ne suis pas certain de savoir encore
aujourd'hui. Mais c'est à Paris que j'ai fait mon éducation, au musée
d'art moderne. Après, je me suis fait tout seul", explique t'il avec
simplicité.
Médaille d'or
Peintre reconnu aujourd'hui, il a exposé
dans les plus grands salons. Jeunes peintres après la guerre, avec
Bernard Buffet, le salon Comparaisons, les Artistes Français où il
obtient une médaille d'or. "je ne sais plus en quelle année".
D'ailleurs, c'est un de ses amis qui informe la
presse de cette distinction. Avec Ange |
Tomaselli, impossible d'obtenir ce
genre de renseignement. Trop humble...
Sa peinture, influencée par Nicolas de Staël, est tout en aplats. Les
natures mortes, les personnages, les paysages gardent une grande unité.
"Pourtant j'évolue", avoue t'il comme s'il voulait se
justifier.
Ses personnages, souvent représentés de dos, sont debout, grands. Le
détail échappe à l'œil, seule l'idée d'ensemble subsiste.
Les nus sont presque trop pudiques à l'image du créateur. Les natures
mortes paraissent être des ajouts d'objets dans un paysage abstrait. Les
paysages sont colorés. Mais il se dégage cde cette oeuvre une espèce de
tristesse, d'angoisse cachée.
Peut-être encore la pudeur du peintre.
Denis Barbier |
Le mardi 1er mai 1928 est, et reste, un jour important pour Ange
Tomaselli, puisqu'il voit le jour à Forno di Canale dans les Dolomites
italiennes.
Pourtant la Péninsule ne sera qu'un passage dans sa vie, puisque c'est en
Bretagne qu'il passera son enfance. Tout naturellement, c'est l'École des
Beaux-arts de Rennes qui lui ouvrira ses portes de 1945 à la fin 1946. De
ce passage, il a coutume de dire qu'il s'y est formé le goût, et entre
autres qu'il y apprit à distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais
en Art.
Sa période rennaise terminée, TOMASELLI part pour la capitale. Son but
cette fois est d'entrer à l'École Nationale des Beaux-Arts. Mais,
arrivé à Paris, il y découvre la peinture moderne, qui le choque et lui
fait renoncer à ce genre d'enseignement. Car Ange Tomaselli, dans un
premier temps, rejettera Picasso comme Braque. Ce n'est qu'après avoir
visité une exposition d'Eugène Carrière qu'il commence à s'ouvrir à
l'art du 20ème siècle. Cependant ce n'est pas cet artiste qui sera
déterminant pour lui, mais Georges Rouault. Principalement lorsque Ange
Tomaselli aperçoit une de ses toiles: "Jésus parmi les
docteurs" (peinte en 1898). A partir de cet instant, il subira
l'influence de ce Maître incontesté en art, et qui est devenu son idole
en peinture. Pour compléter son apprentissage de l'œil comme du goût,
Ange Tomaselli fréquentera assidûment le Musée d'Art Moderne de le
Ville de Paris.
Parallèlement, il suit les expositions des galeries et des Salons, il
côtoie les oeuvres des différents peintres anciens et vivants, il
s'informe, mais aussi il s'exerce et se forme, tant au dessin qu'il
maîtrise, qu'à l'huile, puis plus tard également à l'acrylique,
portant toujours une grande attention à la composition de chaque
personnage comme à celle de l'ensemble du tableau.
Ange Tomaselli n'est pas un homme de commerce. Il n'est pas non plus un
artiste présomptueux. En une phrase : il ne sait pas se vendre! Aussi,
comme le Douanier Rousseau, et bien d'autres qui le firent avant lui, il
gagne sa vie autrement. Mais cela ne lui fait pas renoncer à son Art et
il avoue : "je peins parce que j'ai besoin de le faire. La
peinture me procure un bonheur".
Après des recherches graphiques, des papiers collés, Ange Tomaselli
s'adonnera entre 1960 et 1970, à d'autres techniques artistiques. La
fresque lui permettra de réaliser une très importante décoration, celle
de la Chapelle St Léger à Grambois. Oeuvre de grande dimension, elle
couvre le chœur du bâtiment. L'artiste, pour la réaliser, s'est
inspiré avec succès, des peintres de la Renaissance, et il crée, dans
ce modeste lieu, un ensemble qui doit être préservé afin de passer à
la postérité.
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Enfin Ange Tomaselli pratiquera la mosaïque pour des décors
muraux, et il expérimentera également la
céramique et le bois gravé, avant de revenir vers la fin 1970, à une technique plus
traditionnelle, en pratiquant une peinture à l'huile sur toile, mais
qu'il marouflera sur un support en bois. Ce qui lui permettra d'appliquer
une couche plus épaisse, avec des couleurs superposées, dans lesquelles
il mélangera des grains de sable fin pour augmenter la consistance.
Le fond des toiles d'Ange Tomaselli étant très travaillé, il en obtient
des effets de marbrures, ou pour être plus exact, des miroitements, des
reflets, qui, une fois la toile terminée, iront en s'intensifiant avec
des années, en même temps que s'harmonisera le tableau, au fur et à
mesure de la migration et de la mixtion des fins éléments colorés. Car
il faut savoir que dans la technique de la peinture à l'huile, les atomes
de peinture ne sont pas stables, et les tableaux vieillissant, des
transparences apparaissent et une patine surgit, rendant la toile encore
plus unie et plus belle. Ceci est d'autant plus probant que l'artiste
ajoute en permanence des touches supplémentaires, dont les effets
scintillants sont autant d'apports de lumière.
La lumière, le mot est lâché, toute la science de l'artiste est de
jouer, de jongler avec la lumière, c'est elle qui en définitive, donnera
l'effet final à une oeuvre. Elle apporte les modulations dans les
couleurs, mais aussi elle peut en modifier les reflets. C'est pourquoi
Ange Tomaselli porte tant d'attention à l'éclairage de son atelier,
fuyant l'éclairage électrique, comme le rayon solaire direct. Chez lui
les baies sont grandes, afin de voir bien clair, mais tamisées pour
obtenir une lumière uniforme. Alors il peut introduire dans la chair
même de sa peinture, les éléments qui, contrôlés par lui, en
donneront toute la consistance, dans le présent comme dans le futur.
Entre-temps, Ange Tomaselli s'est laissé influencer par Minaux, et comme
il le fait vis à vis de la pâte pour Rouault, il le fait pour les
volumes, leur forme, leur disposition, vis à vis de ce premier. Pour son
graphisme, il affectionne les courbes, les "S", les
"Z". Quant à ses dessins, la vigueur du trait, les vérités
anatomiques, en sont les principales qualités, et c'est sur elles que
viendra prendre forme la composition à l'huile. Ce que l'on remarque en
premier chez cet artiste, c'est sa recherche de toiles relativement
grandes dimensions et carrées, puis l'attention qu'il porte aux harmonies
de couleurs. Ces deux critères allant dans le sens d'un équilibre du
tableau. Le fond de celui-ci est composé de tons tendres, vibrant dans
une continuité du sujet. Mais souvent, sur cette base aux couleurs
concordantes, une suite de sujets aux tons plus marqués, allant du
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noir
à des variétés de rouge, font diversion et donnent la forme de la
masse principale du sujet.
Les natures mortes sont les éléments qui
donnent le plus de liberté de création à l'artiste. Il peut disposer
des objets, de leur forme, de leur couleur, de leur éclairage, en
ajouter, en soustraire. La nature morte laisse les mêmes libertés de création que la peinture dite abstraire, avec toutefois une
contrainte qui devient un atout, pour qui sait la maîtriser, nous montrer
des formes qui, dans leur individualité, restent familières et
représentatives d'une réalité.
Or Ange Tomaselli nous y révèle sa personnalité effacée, prudente,
toujours tendue vers la perfection : cependant un sursaut se
révèle par le surgissement d'une couleur plus inhabituelle, un fruit
plus éclatant, plus jaune, plus rouge, qui se dégage de l'ambiance calme
de l'ensemble.
La même atmosphère paisible, nous la retrouvons dans ses paysages et
principalement dans ses rues de villages, qui sont souvent ceux de son
environnement proche. Rejetant les formes de perspective alambiquée, les
vues encombrées de passants, c'est le lieu qui intéresse Ange Tomaselli.
La rigueur de l'architecture y rejoint sa propre rigueur intérieure, sa
propre mélancolie se lisant dans les ciels couverts.
Quoique Ange Tomaselli sache parfaitement nous montrer les sentiments qui
se reflètent sur un visage comme dans un regard, certaines toiles
sont là pour en témoigner (Maternité, Portrait de sa Mère, de son
Père), c'est souvent de dos qu'il nous présente un bon nombre de ses
modèles. On est en droit de se demander si il s'agit là d'une pudeur
d'artiste de ne pas vouloir fouiller l'âme d'autrui. Mais en réalité,
c'est parce que les surfaces planes sont pour lui un prétexte à
rechercher les reflets de la lumière. Il traite en épaisseur, comme nous
l'avons vu plus haut, il introduit ce qui va visualiser les gammes
chromatiques les plus délicates, et faire jouer le rayon lumineux. Chaque
surface est un des éléments d'un tableau, traitée comme le font les
non-figuratifs, composée et créée pour l'œil et uniquement pour lui.
Elle est une composition orchestrale faite en direction du regard. Même
ses nus sont des prétextes à des harmonies de couleurs, et, allant plus
loin, à des variantes pour chacune d'elles.
Ange Tomaselli a compris que le tableau moderne est, avant tout, un art
visuel, loin de la photographie qui cerne le monde concret, il est
imagination, il est création à l'état pur, et que toute la science du
peintre est, tout en restant figuratif, d'inclure la réalité des choses
dans une symphonie qu'il extrait de sa sensibilité la plus profonde.
Christian Germak
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